ETUDE EGALITE DANS LE CONTE

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Etude commanditée par le RNCAP et l’APACC et réalisée par Julie Robert, étudiante en Master Études sur le Genre à Lyon, de janvier à août 2025

 

L’ÉGALITÉ DANS LE CONTE

LES FESTIVALS DE CONTES EN FRANCE OFFRENT-ILS UNE REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES ARTISTES FEMMES ET HOMMES, OU PERSISTENT-ILS DES INÉGALITÉS ?

Le RNCAP et la commission égalité de l’APACC s’associent pour répondre à cette question cruciale à travers une nouvelle enquête sur la place des femmes dans les programmations de festivals de conte.
Cette étude s’appuie sur l’analyse de 100 programmations issues de 50 festivals entre 2023 et 2024 (ou sur les deux dernières éditions pour les festivals biennaux). Elle fait écho à l’enquête menée en 2013 par Marion Firecka. L’objectif est double : dresser un nouvel état des lieux de l’égalité femmes – hommes dans ces programmations, et proposer des pistes d’action adaptées aux réalités du secteur.
Au total, l’étude a recensé 2 557 spectacles, dont 2 012 solo.
L’approche se veut à la fois quantitative et qualitative.
D’un côté, les données statistiques permettent d’évaluer la répartition femmes/hommes sur plusieurs critères :
direction artistique, positionnement dans la grille horaire, types de lieux et de publics, contenu des spectacles.
De l’autre, une série d’entretiens avec des programmateur-rices éclaire les logiques parfois invisibles derrière les chiffres : contraintes budgétaires, habitudes professionnelles, sensibilités personnelles. Ce croisement des
regards permet de mieux comprendre ce qui freine ou facilite une programmation égalitaire.

Quand le nombre ne fait pas la place

Parmi les artistes professionnel-les du conte, la proportion de femmes est estimée entre 60 et 70 %. Pour autant, cette supériorité numérique ne se reflète pas pleinement dans les programmations des festivals.
Les femmes représentent 55 % des artistes programmé-es et jouent 57 % des spectacles. Elles sont donc visibles en apparence, mais proportionnellement moins que leur présence réelle dans le métier.

CELLES ET CEUX QUI CHOISSENT

La programmation artistique n’est pas toujours assurée par une seule personne identifiée. Certains festivals fonctionnent collectivement ou s’appuient sur des bénévoles.

Lorsqu’un-e programmateur-ice est identifié-e, 52% sont des hommes et 48% des femmes.

En 2013, seulement 32% des programmations étaient assurées par des femmes : une évolution significative de +16 points.
Mais davantage de femmes à la programmation signifie-t-il automatiquement plus de femmes sur scène ?
Pas nécessairement. Les entretiens montrent que, malgré les contraintes logistiques (budgets, distances, dates), les programmateur-rices ont une grande liberté de choix des artistes. Les financeurs n’interviennent jamais ou presque dans les décisions artistiques.

Le genre du ou de la programmateur-ice n’est pas en soi un levier déterminant : c’est la conscience des mécanismes d’inégalité, et l’intention de les corriger,
qui influence la composition des plateaux. Autrement dit, une femme programmant un festival n’est pas nécessairement plus attentive à la parité qu’un homme : seul un engagement explicite sur ces questions peut réellement peser.

Néanmoins, cette progression féminine vers des postes à responsabilité est à saluer.

Programmées… Mais quand ?

Le positionnement horaire d’un spectacle a un impact direct sur sa visibilité.
L’analyse met en évidence une répartition inégalitaire des créneaux : 64% des spectacles portés par des femmes sont programmés en journée, avant 17h, tandis que 57% de ceux des hommes bénéficient de créneaux en soirée.
Le matin, les femmes sont encore plus présentes : elles assurent 71 % des représentations.

 

Les créneaux du soir, souvent davantage fréquentés par les adultes et les professionnel-les, renforcent la reconnaissance et l’intégration dans les réseaux.
Ce biais horaire, s’il peut sembler anecdotique, accentue une hiérarchisation implicite : les hommes, moins nombreux, bénéficient de créneaux plus prestigieux — et donc d’une exposition accrue.

SOIRÉE D’OUVERTURE ET DE CLÔTURE : QUI BRILLE ?

Les soirées d’ouverture et de clôture, moments phares des festivals, concentrent l’attention du public et des professionnel-les. Or, les artistes masculins y restent majoritaires :
ils représentent 64 % des artistes programmés en solo à ces occasions (les duos mis en avant sont eux aussi majoritairement masculins). En 2013, cette proportion s’élevait à 75 %. L’évolution est donc réelle, mais lente, avec un gain moyen d’à peine un point par an.

Pourquoi une avancée si timide ? Certains témoignages évoquent la pression de remplir des jauges importantes lors de ces temps forts. Or, les artistes déjà identifiés, souvent masculins car plus visibles en soirée, sont davantage sollicités. C’est un cercle auto-renforçant : la visibilité appelle la visibilité — et les hommes en bénéficient davantage.

Un public genré ?

Un autre facteur de différenciation réside dans les publics visés.
Près des deux tiers des spectacles portés par des femmes s’adressent au très jeune public (moins de 5 ans) ou aux enfants dès 5 ans.
À l’inverse, seuls un tiers des spectacles masculins visent ces tranches d’âge.

79% des spectacles destinés aux moins de 5ans sont joués par des femmes, et 64% des spectacles destinés au public à partir de 5 ans.

Les hommes sont plus présents à partir de 8, 10 ou 12 ans, tandis que les femmes redeviennent majoritaires sur les propositions destinées aux adolescent-es et aux adultes, souvent en lien avec les thèmes qu’elles abordent (sexualité, genre, émancipation…).

Ce constat n’est pas nouveau : il avait déjà été formulé en 2013.
Il interroge les logiques de spécialisation — choisies ou subies — qui peuvent s’installer.
Intervenir auprès de jeunes enfants est parfois perçu comme un prolongement du domaine du soin, souvent associé aux rôles féminins.

Graphique pourcentage conteuses et conteurs par public cible

De plus, en dehors du cadre festivalier, se spécialiser dans les spectacles pour la petite enfance peut avoir des conséquences économiques importantes. Ces créations sont souvent moins rémunérées, notamment parce qu’elles sont accueillies par des structures comme les écoles ou les médiathèques, qui disposent de budgets plus restreints que les scènes conventionnées. À long terme, cette orientation artistique peut précariser les femmes, tout en les maintenant auprès de publics perçus comme « féminins » et donc dévalorisé.

Certains programmateur-rices tentent de rééquilibrer les choses, mais signalent la difficulté à trouver des artistes masculins intéressés par ces publics jeunes. Cela pose une question essentielle : les artistes s’orientent-iels vers certains publics par désir, par opportunité, par manque de légitimité perçue, ou par assignation implicite ?

HIÉRARCHISATION DES ESPACES

Les lieux de représentation reflètent eux aussi des hiérarchies implicites. Dans les théâtres —considérés comme les espaces les plus prestigieux — la parité est atteinte. Les centres culturels et salles de spectacles accueillent 55 % de femmes. En revanche, les hommes sont plus nombreux – 55% – dans les salles des fêtes,.

À l’inverse, les femmes sont très largement majoritaires dans les médiathèques – près des deux tiers – et dans les établissements scolaires, où elles représentent 69 % des artistes programmé-es, en cohérence avec leur orientation vers les jeunes publics. Si ces lieux ne sont pas dénués de valeur, leur reconnaissance symbolique et financière reste souvent moindre par rapport aux scènes conventionnées. Une fois encore, cela traduit une valorisation différenciée selon les genres.

Des sujets qui font sens ?

L’étude s’est aussi intéressée au contenu des spectacles, notamment ceux qui traitent :

  • de sexualité ou de conte érotique, portés à 80% par des femmes ;
  • de récits de femmes héroïques ou émancipées, joués à 87% par des femmes.

Ces thématiques, bien que minoritaires dans les programmations, sont largement investies par des artistes femmes, ce qui explique leur présence plus marquée dans les spectacles destinés aux plus de 14 ou 16 ans.
Parmi les spectacles abordant le genre, le féminisme ou les stéréotypes sexistes, 57% sont portés par des conteuses et 43% par des conteurs. Seules les œuvres dont le descriptif mentionne explicitement ces enjeux ont été prises en compte.

Certain-es artistes les abordent de manière plus implicite, sans les signaler dans leur résumé. Précisons que traiter de ces sujets ne relève pas toujours d’une démarche militante : les intentions peuvent rester ouvertes ou plurales.

L’analyse permet néanmoins de constater que ces thématiques sont désormais partagées. Le fait que des hommes s’en emparent aussi est un signe positif. Mais selon les entretiens menés, la réception varie encore selon le genre : une femme qui parle de féminisme pourra être jugée radicale, là où un homme exprimant un propos similaire sera vu comme simplement engagé.

Certains festivals consacrent des soirées aux femmes ou aux thématiques dites “féminines”, souvent autour du 8 mars. Si ces initiatives sont bienvenues, elles révèlent aussi une norme implicite : le masculin reste le cadre par défaut, le féminin une exception mise en lumière ponctuellement.

TRANSMISSION : UN DOMAINE EN PLEINE EVOLUTION

Sur le terrain de la formation, les chiffres sont encourageants. En 2013, 70 % des stages ou ateliers étaient animés par des hommes.
Aujourd’hui, sur les 85 recensés, 62 % sont animés par des femmes. Même dynamique pour les temps d’échange autour des spectacles : 59 % sont menés par des femmes, contre 41 % par des hommes.
Les conteuses prennent ainsi leur place dans la transmission du savoir et dans les espaces de réflexion, participant à leur tour à la structuration du milieu.

Pour une égalité construite collectivement

Plusieurs pistes concrètes émergent de cette étude.
En premier lieu, la sensibilisation des programmateur-ices reste essentielle. Ce sont souvent elles et eux qui, seul-es, prennent les décisions artistiques. Des espaces d’échange sur les questions d’égalité – comme des assises proposées par l’APACC ou le RNCAP – pourraient encourager une réflexion collective sur les pratiques.
Le public a également un rôle à jouer. Il s’agit de le sensibiliser aux enjeux d’égalité, mais aussi de favoriser une plus grande transparence de la part des festivals: expliquer les choix de programmation, les contraintes éventuelles, et l’attention portée à l’égalité des chances peut renforcer la légitimité et la lisibilité des démarches.

Les artistes masculins peuvent, eux aussi, agir concrètement, en refusant de participer à des programmations entièrement masculines, ou en suggérant des collègues féminines, dans une logique de collaboration avec les équipes.

Enfin, des leviers plus structurels peuvent être envisagés : fixer des objectifs de parité sur plusieurs années, alterner les temps forts d’une édition à l’autre, ou mettre en place des systèmes de bonus/malus incitatifs.
Une meilleure lisibilité des critères d’égalité attendus par les financeurs renforcerait également la capacité des festivals à construire des programmations plus équilibrées.

POUR CONCLURE

Les disparités ne tiennent pas seulement au nombre d’artistes, mais aussi à la répartition des créneaux, des lieux et des publics. Les hommes continuent d’occuper les espaces les plus visibles.

Toutefois, des progrès sont notables : davantage de femmes programment, transmettent, et s’imposent dans les espaces de réflexion. L’étude repose sur une lecture binaire du genre, mais elle invite à élargir le champ des préoccupations : diversité sociale, inclusion des personnes LGBTQIA+ ou en situation de handicap.

Le conte, en tant qu’art de la parole et du lien, a tout à gagner à devenir un espace où chaque voix peut résonner pleinement.

Août 2025 – Julie ROBERT

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