Madame, Monsieur,
C’est en tant qu’APACC, structure représentante des artistes conteurs et conteuses en France, et RNCAP, structure représentante des organismes concernés par l’Art du Conte et du Récit (festivals, compagnies, maisons d’édition, centres ressource…), que nous nous adressons à vous. Depuis les années 80, la France a vu se déployer le Renouveau du conte, un mouvement porté par une poignée de pionnier.es jusqu’en 1989 et qui, plusieurs générations plus tard, s’est enrichi de nombreux.ses artistes.
L’Art du Conte et du Récit est un art populaire et ancestral dont la plupart des autres arts s’inspirent encore aujourd’hui. C’est également un art sans cesse renouvelé par les artistes de la parole, tant dans les matières traditionnelles que dans les récits contemporains, tant dans le fond que dans la forme.
Cela fait plus de 40 ans que notre art se déploie, et pourtant il peine encore à être connu et reconnu pour ses spécificités et dans sa diversité au sein des institutions. Dans ce courrier, nous relevons différents points que nous avons observés au fil des années et qui empêchent la reconnaissance de notre art par les institutions ainsi que la présence des artistes conteurs et conteuses dans certains lieux de Culture.
Nous aborderons ainsi :
● Les problématiques concernant les aides à la création
● Des problématiques liées à d’autres types de subventionnement
● La structuration même de notre secteur
1/ Appels à projets et aides à la création portés par les DRAC
★ Il nous semble que dans les dossiers, d’appels à projets et de demandes de subventions, un certain nombre de rubriques ne sont pas en cohérence avec les réalités de terrain des acteurs et actrices de l’Art du Conte et du Récit, ce qui disqualifie leurs dossiers et participe à l’invisibilisation de cette discipline artistique. Nous constatons avec regret, que dans la plupart des dossiers à compléter, notre art n’est pas nommé. Les conteurs et conteuses sont parfois obligé·es de s’identifier en « théâtre » ou en « littérature », ce qui ne correspond pas à leurs pratiques. Puisque les arts de la rue, la marionnette, le cirque sont nommés, pourquoi ne pas ajouter systématiquement un onglet Art du Conte et du Récit ? C’est le cas dans certaines DRAC, mais pas sur l’ensemble du territoire. Pourtant, nous sommes persuadé·es que la visibilité d’un art commence par sa nomination à toutes les étapes de l’accompagnement de ses acteurs et actrices.
➢ Nous demandons à faire apparaître notre discipline, Art du Conte et du Récit, dans chacun des appels à projets.
★ Les critères d’éligibilité aux aides à la création des DRAC ne sont pas adaptés au secteur de l’Art du Conte et du Récit :
- les attendus sur des productions sollicitant un minimum de 10 000€ dans les budgets prévisionnels, là où les budgets de création de spectacles de conte en solo sont souvent moins onéreux,
- les attendus d’au-moins trois apports en coproduction sur un secteur où les structures départementales et régionales spécialisées dans cette discipline sont trop peu dotées pour pouvoir apporter de telles aides,
- la demande de diffusion dans certains lieux de théâtre (Scènes Nationales, Centres Dramatiques Nationaux, réseaux type Chaînon manquant) où les conteurs et conteuses ne sont que trop rarement programmé·es.
Ces critères, trop éloignés des réalités des artistes du secteur, disqualifient d’entrée de jeu les dossiers des conteurs et conteuses avant même leur examen, et freine souvent la démarche de dépôt de dossier. La plupart des artistes lisent les critères et se découragent, voyant qu’ils ne peuvent satisfaire aux conditions attendues.
➢ Nous demandons que les critères d’éligibilité aux aides à la création des DRAC soient révisés afin de permettre aux artistes de l’Art du Conte et du Récit de soumettre des dossiers auprès des DRAC, et ce en tenant compte des spécificités de la discipline.
★ Par ailleurs, nous déplorons le manque de représentativité des acteurs et actrices de notre discipline dans la diversité des scènes de territoire. Cela tient notamment au fait qu’au sein même des jurys se rassemblant autour des dossiers de création, il n’y a que rarement – voire pour ainsi dire jamais – de représentant·es de notre discipline. Aucun·e expert·e Conte et Art du récit. Pourtant, cela permettrait, lors de ces jurys, que les dossiers portés par des conteurs et conteuses, puissent être identifiés, et défendus en tant que tels.
➢ Nous demandons que des expert·es de l’Art du Conte et du Récit soient intégré·es aux comités de sélection de toutes les DRAC, et qu’au moins un projet de notre discipline soit soutenu à chaque commission.
★ L’invisibilisation de l’Art du Conte et du Récit, encore aujourd’hui, tient également au fait que les productions des conteurs et conteuses sont très rarement accueillies dans les Scènes Nationales, les Centres Dramatiques Nationaux, et les centres culturels. Les a priori sur notre discipline ont la dent dure, et la majorité des programmateur·ices ne prennent pas le temps de rencontrer les conteurs et conteuses ni d’aller découvrir leurs productions. En parallèle de l’allègement des critères d’accès aux aides à la création, il nous semble important de faire évoluer la représentativité de notre art, jusque dans ces lieux de Culture.
➢ Nous demandons que le Ministère et les DRAC, soutiennent le déploiement de l’Art du Conte et du Récit, en incitant les structures programmatrices à accueillir au moins un conteur ou une conteuse au sein de leur programmation annuelle, ou à créer, au sein de leur saison, un événement « focus Art du Conte et du Récit », comme il existe des focus Arts de la rue ou Art du cirque.
★ Les conteurs et conteuses font rarement appel à des costumes et décors pour leurs créations. L’Art du Conte et du Récit est un art de l’évocation. Sa singularité réside justement dans cette épure, dans sa capacité à créer des mondes multiples par le simple art de la parole. Ainsi, les conteurs et les conteuses ont rarement besoin d’un atelier de fabrication, de costumier·es, ou de scénographes. Cependant, cela n’enlève pas leur besoin de disposer de lieux dédiés à leur art pour créer.
Il est essentiel de développer :
- des lieux de résidence d’écriture pour les créations de récits,
- des accueils en résidence sur des scènes de théâtre pour les conteurs et
conteuses créant au plateau, avec création lumière, - des espaces de travail pour l’oralité – spécificité de notre discipline.
Le travail de création ne consiste pas uniquement dans une réalisation matérielle. Il se situe principalement dans la conception, l’écriture – orale ou écrite – les répétitions, le travail d’improvisation, de recherche d’images, de mise en mots. Même pour des conteurs et conteuses à voix nue, contant assis sur une chaise, il est nécessaire d’avoir accès à des espaces de travail, pour se concentrer sur leur art et travailler en équipe.
➢ Nous demandons que le Ministère et les DRAC, mettent en œuvre des réflexions avec leurs partenaires, pour trouver des espaces dédiés à l’accueil des créations de l’Art du Conte et du Récit, afin de soutenir la professionnalisation des artistes de notre discipline.
2/ Les autres aides culturelles
★ Le FONPEPS a été mis en place il y a plusieurs années, pour soutenir les artistes, compagnies et structures de petite taille. Cette aide a été précieuse pour les artistes du conte. Cependant, depuis quelques années, les critères ont évolué, et sont dorénavant réservés aux représentations avec trois artistes au plateau. Dans notre secteur, le conteur ou la conteuse est souvent seul.e sur scène, parfois accompagné.e d’un.e technicien.ne ou d’un.e musicien.ne. Pourtant, nous faisons partie des artistes accueilli.e.s dans des salles à petites jauges. Cette aide pourrait grandement soutenir le secteur.
➢ Nous demandons un retour aux critères précédents d’accès, à partir d’un artiste au plateau, à l’Aide à l’emploi du Plateau Artistique de petites Jauges (APAJ) du FONPEPS.
★ L’Art du Conte et du Récit, en parallèle de sa dynamique de création artistique, est également un art plein de richesses pour la mise en place de projets d’Éducation Artistique et Culturelle en territoire. Il est rare que les appels à projets de territoire nomment notre discipline, par méconnaissance de cet art.
➢ Nous demandons que les conseillers DRAC EAC intègrent l’Art du Conte et du Récit dans leurs appels à projets.
3/ La structuration du secteur de l’Art du Conte et du Récit
★ Dans de nombreux départements et régions, on trouve des structures dédiées à l’Art du Conte et du Récit : centres de ressource, documentation et recherche ; festivals ; maisons du conte ; salles de spectacle dédiées au conte. Sous ces diverses formes, chacune œuvre à la structuration du secteur. Plusieurs d’entre elles sont suivies de longue date par les institutions locales, qui reconnaissent la qualité de leur travail, leur apport essentiel pour les territoires et voudraient les soutenir à la hauteur de leurs besoins réels de fonctionnement. Mais cet accompagnement ne peut pas se mettre en place car les lignes budgétaires dédiées à l’Art du Conte et du Récit n’existent toujours pas, 40 ans après le Renouveau du Conte en France. Au plan international, la France est
reconnue comme la tête de file de ce Renouveau dans le monde. Malgré cela, notre secteur est moins reconnu dans sa singularité et soutenu chez nous qu’en Belgique, en Suisse ou au Québec. Sans lieux dédiés à l’Art du Conte et du Récit, dignement soutenus pour être centres de ressource pour les conteurs et conteuses, notre discipline peine à se développer et à assurer la professionnalisation des jeunes générations.
➢ Nous demandons que, dans le budget du Ministère, des lignes soient dédiées à l’Art du Conte et du Récit et plus précisément au soutien des structures spécialisées œuvrant au développement de notre art.
★ La structuration de notre discipline et sa reconnaissance comme art à part
entière impliquent également une attention et des moyens offerts à la formation des jeunes artistes. On dénombre en France douze écoles supérieures d’art dramatique, trois écoles supérieures de cirque, une école nationale supérieure des arts de la marionnette. Le ministère de la Culture finance également une formation aux arts dans l’espace public. Différents dispositifs d’insertion accompagnent l’entrée dans la vie professionnelle de l’ensemble des jeunes artistes issu.e.s de ces écoles supérieures.
Mais pour les jeunes conteurs et conteuses, rien de tel. L’APACC et le RNCAP mènent actuellement une réflexion sur ce sujet. Une enquête auprès des structures adhérentes au RNCAP est en cours, les artistes ayant une expérience en tant que formateur·trice capitalisent également leurs expériences au sein de l’APACC.
➢ Nous demandons que le Ministère et les DRAC, accompagnent les acteurs et actrices de la discipline dans leur démarche de réflexion visant à concevoir une offre de formation adaptée aux Arts de la parole et dotée de moyens.
★ De nombreuses compagnies implantées de longue date en milieu rural ou
urbain, font un immense travail sur le terrain, souvent invisibilisé car se déroulant dans des structures non repérées par les institutions. Ces compagnies tiennent à bout de bras des projets, sans réelles aides au fonctionnement.
➢ Nous demandons la prise en compte des actions de territoire portées par de nombreux·ses artistes conteurs et conteuses, par la mise en place de conventionnements de compagnies pour la création et les actions de territoire.
Participer à une meilleure connaissance de notre art
Nous avons réfléchi à plusieurs propositions d’actions concrètes qui nous semblent pouvoir participer à une meilleure connaissance et reconnaissance de notre art dans sa spécificité et sa diversité. Nous vous soumettons une première proposition :
➢ Chaque année, la DGCA organise une journée de formation thématique pour l’ensemble de ses conseiller·es. Nous proposons d’organiser une journée thématique sur l’Art du Conte et du Récit en 2026. Cela permettrait de faire comprendre les spécificités de notre secteur, de transmettre les réalités de terrain et pourrait nourrir la réflexion sur les ajustements de critères des dossiers de création afin de faciliter l’épanouissement de notre secteur.
Nous souhaitons initier une concertation avec vos services pour échanger de façon plus précise sur ces différents points et sur les modalités de la mise en œuvre d’actions concrètes au service de la connaissance et de la reconnaissance de l’Art du Conte et du Récit en France. Dans les mois à venir, des représentant·es de nos deux structures peuvent se déplacer conjointement, pour rencontrer les délégué·es DRAC, en régions et départements.
Vous souhaitant bonne réception de ce courrier, nous, APACC et RNCAP, sommes plus que jamais déterminées à œuvrer avec vous pour que notre discipline trouve sa juste place aux côtés des autres arts.
Nous vous adressons nos respectueuses salutations.
Le 17 mars 2025
Les coordinations de :
l’Association Professionnelle des Artistes Conteurs et Conteuses (APACC) et le Réseau National du Conte et des Arts de la Parole (RNCAP)
